jeudi 24 novembre 2016

Lacan, Les écrits techniques de Freud



LACAN, LES ÉCRITS TECHNIQUES DE FREUD

Édition : Points



Fairouz Nemraoui


Point sur la psychanalyse et l'oeuvre de Freud :


         La pensée freudienne doit être remise en mouvement. Les travaux sont ouverts à la révision, à des remises en question.


         Lacan met en avant l'importance que Freud accordait à son « auto-analyse » pour pouvoir analyser les névrosés. "(...) on reconnaît ce fait que, dans l'analyse il n'y pas seulement le patient. On est deux - et pas que deux". P11


         Le point de visée de l'analyse serait la reconnaissance "Tu es ceci". Il s'agit d'un idéal qui n'est jamais vraiment atteint. "L'idéal de l'analyse n'est pas la maîtrise de soi complète, l'absence de passion" p.12.

         Les écrits techniques (1904-1919) de Freud représenteraient une étape intermédiaire, précédant l'élaboration de la théorie structurale (=théorie des instances ou théorie métapsychologique). Leur groupement se constitue en ce sens. Croire que l'unité proviendrait du fait que ces textes traitent de la technique serait une erreur.


         Lacan souligne le manque de consensus entre les différentes pratiques psychanalytiques sur ce qui est fait, ce qui est visé, ce qui est obtenu, et de façon générale concernant ce dont il s'agit. Il parle d'une "confusion la plus radicale" (p.22).


         La force de l'œuvre de Freud est de prendre le sujet dans sa singularité et de le réintégrer dans son histoire. Lacan fait une précision sur le terme d'histoire, et précise qu'il ne s'agit pas du passé en tant que tel, mais de l'historisation du passé par le sujet du présent, dans la manière dont la personne cherche à reconstruire son passé. La remémoration n'est donc pas le point important, c'est la reconstruction qui compte (p.27).

P.28 " ce dont il s'agit, c'est moins de se souvenir que de réécrire l'histoire".


Le moi et l'ego :


         Concernant le moi, Lacan explique que celui-ci se situe dans le sujet comme un symptôme. (P.31) Il y a une ambiguïté dans la conception que se font les analystes de l'égo en pensant que ce serait à quoi on aurait accès. Lacan le considère plutôt comme un acte manqué, un "achoppement" (p. 31).


         Lacan se pose la question suivante : est-ce que la résistance continue à avoir son sens en dehors de la psychanalyse? Chez Freud, et dès ses premières recherches, la notion de résistance est rattachée à celle d'égo. L'égo aurait chez Freud un rôle fonctionnel lié à des "nécessités techniques" (p.43).


         De même, le contre-transfert est le résultat de l'égo de l'analyste, ce qu'il nomme "la somme des préjugés de l'analyste" (p.41). Pour autant, il ne dit pas que l'analyste devrait ressentir aucun sentiment vis à vis de son patient, comme un robot. Là n'est pas le question. C'est plutôt de savoir ce que l'analyste en fait. Il doit ne pas y céder et "s'en servir adéquatement dans sa technique" (p. 56)


         Concernant l'interprétation, Lacan prend des distances et met en avant le fait que le sens ne doit pas être révélé au patient mais assumé par lui. C'est justement parce que le sujet refuse ce sens que l'assumer lui permet d'avancer dans sa cure. C'est notamment sur ce point précis que Lacan caractérise la psychanalyse comme une technique qui "respecte la personne humaine" (p.52). Ce point de vue vient aussi montrer qu'il est vain de vouloir forcer la résistance du sujet à tout prix.

Il montre également que la clairvoyance chez le patient suite à une interprétation du psychanalyste ne prouve en rien que cette intervention du clinicien fût efficace d'un point de vue proprement thérapeutique. L'interprétation reviendrait alors à un rapport d'égo à égo, c'est-à-dire que l'on ne peut pas distinguer ce mécanisme de celui de projection.


La résistance / Parole pleine et parole vide : 


         Lacan définit alors la résistance comme "cette inflexion que prend le discours à l'approche de ce noyau", entendu noyau pathogène. (P.62) C’est à l’approche de sa vérité que nait la résistance chez le sujet. Chez Freud déjà se dégage le fait que la résistance émane de ce qui est refoulé, de ce qui est à révéler. C'est dans le mouvement par lequel le sujet s'avoue, lâche prise qu'apparaît la résistance.

         Selon Lacan, c'est alors quand cette résistance devient trop forte que surgit le transfert (p.69). Il ajoute quelques pages plus loin, ce qui vient soutenir cette première proposition, "c'est dans la mesure où l'aveu de l'être n'arrive pas à son terme que la parole se porte tout entière sur le versant où elle s'accroche à l'autre" (p.80). Cela n'est pas étranger à l'essence de la parole qui est une médiation avec l'autre, une façon de s'y accrocher et d'être en lien avec l'autre.

Mais alors dans la cure, "si la parole fonctionne (...) comme médiation, c'est de ne pas s'être accomplie comme révélation" (p.81).

         La parole pleine est une parole qui fait acte en ce sens que le sujet est différent de ce qu'il était auparavant.

         C'est de cette manière qu'il introduit l'opposition entre parole pleine et parole vide. La parole pleine vient réaliser la vérité du sujet tandis que la parole vide fait écho à la présence du psychanalyste où le sujet se perd alors dans "le labyrinthe" de système culturel et dans les "machinations" du système du langage (p.83).

         Le phénomène de transfert serait le fond du mouvement de la résistance. C'est par cette conjonction que la parole deviendrait adressée au témoin qu'est le psychanalyste. C'est alors au moment du silence du patient, quand il s'interrompt qu'il approche le plus de la vérité. Selon Lacan, l'idée que l'analyste intervienne en disant "ne pensez-vous pas à quelque chose qui me concerne moi l'analyste ?" (P.88) n'est pas conseillée car cela vient cristalliser d'autant plus la tendance du patient à venir adresser son discours au clinicien.


         Plus le sujet s'affirme comme moi (du côté de la parole vide), plus il s'aliène. "Quel est donc celui qui, au-delà du moi, cherche à se faire reconnaître?" (P.85) L'égo serait donc une défense, un refus. Sa fonction fondamentale est la méconnaissance, le "je ne sais pas".

         Le moi serait un "maître d'erreurs, le siège des illusions, le lieu d'une passion qui lui est propre et va essentiellement à la méconnaissance" (p.104).

         Il y aurait un refoulement premier, primitif qui produirait une attraction pour tous les refoulements ultérieurs, comme un centre d'attraction (p.73). Il serait "le fond et le support" (p.74).


Le symbolique :


         Lacan distingue les différents niveaux du symbolique : symbolique en tant que tel, la possibilité symbolique, l'ouverture de l'homme aux symboles, sa cristallisation dans le discours en tant qu'il contient la contradiction.

Le réel serait ce qui échappe, ce qui résiste à la symbolisation.


         Toute l'expérience du bouquet dépend de la place de l'œil. Lacan définit alors l'œil comme symbole du sujet. Autrement dit, le rapport au monde, à l'imaginaire, et au réel dépend de la situation du sujet. Sachant que la situation du sujet dépend de sa place dans le monde symbolique, donc dans le monde de la parole.


Il distingue trois registres dans le langage :
  • L'énoncé : inclut la nature du sujet en fonction du style et de l'intonation.
  • L'appel : il s'agit du ton qui va venir définir différentes valeurs de l'énoncé.
  • La communication : prend en compte l'ensemble de la situation et ce dont il s'agit.

            La liaison symbolique est que socialement les êtres se définissent par l'intermédiaire de la loi. Par l'échange des symboles, chacun se situe par rapport aux autres. Ce rapport symbolique est complexe car différent selon les plans où les êtres se placent.

Le symbole permet d'introduire un tiers qui est un élément de médiation entre les êtres en présence (p.247).


Le stade du miroir :


         Dans les rapports aux objets existe un mode d'identification. L'anxiété en est le signal. Lacan entend l’anxiété comme une "tentation, vertige, perte du sujet" à un niveau primitif. (P.113).


         Le stade du miroir n'est pas simplement un stade du développement. Il a aussi une fonction essentielle de relations du sujet à son image. Le caractère optique a de ce fait toute son importance. Le fait même que l'enfant voit la forme totale de son corps permet une anticipation de la maîtrise sur celui-ci. Cette maîtrise imaginaire est prématurée par rapport à la maîtrise réelle du corps au vu de l'âge de l'enfant. "Le sujet anticipe sur l'achèvement de la maîtrise psychologique, et cette maîtrise donnera son style à tout exercice ultérieur de la maîtrise motrice effective" (p.128)


         Le stade du miroir, en tant qu'instant où le sujet se voit, se réfléchit, va alors déterminer de façon essentielle toute la vie fantasmatique du sujet. Au stade du miroir, nous retrouvons le sujet d'avant la naissance du moi et le surgissement de celui-ci.

            Lacan reprend Hegel et notamment l'idée que le désir de l'homme est le désir de l'autre. Le sujet repère son corps grâce à sa propre image (cf stade du miroir) mais aussi par l'intermédiaire du corps de l'autre. C'est là que s'ancre la conscience de soi. Il reconnaît dans le corps de l'autre son propre désir. Le sujet se reconnaît comme corps car il a assimilé le corps de l'autre.
 

         L'autre est captivant par le sujet du fait de son image unitaire, au même titre que l'image qu'il perçoit dans le miroir. L'autre, au cours de la vie, se confondra plus ou moins avec l'idéal du moi.

Un point essentiel du stade du miroir est son caractère exaltant. Lacan précise que finalement, l'important n'est pas son apparition à 6 mois mais son déclin à 18 mois.


L'imaginaire :


L'imaginaire chez le névrosé renvoie :
  • aux identifications formatrices et les rapports que le sujet entretient avec celles-ci
  • au rapport du sujet avec le réel dont la caractéristique est d'être illusoire. Le psychotique lui ne trouve pas de substitution imaginaire tout en perdant la réalisation du réel. (p 186)
            La dimension imaginaire, illusoire intervient de façon essentielle dans les comportements sexuels : leurs déplacements, leur déclenchement. Lacan s'appuie sur des exemples tirés des comportements animaux.


            Avant le langage, le désir n'existe que sur le plan de l'autre qui est aliénant. Il s'agit de la relation imaginaire du stade spéculaire. La seule issue n'est alors que la destruction de l'autre. C'est un désir de disparition de l'autre en tant qu'il supporte le désir du sujet. Dans cette relation il y a concurrence, rivalité absolue. Il s'agit de détruire celui qui est le siège de l'aliénation.

« Avant que le désir n'apprenne à se reconnaître – disons maintenant le mot – par le symbole, il n'est vu que dans l'autre ». (p.266).


            L'ego ne se confond pas avec le sujet. Le sujet est ce qui est en dehors de l'objet, du moi. (p.301).


Sentiment de soi :


Trois racines du sentiment de soi sont isolées par Freud :
  • la satisfaction narcissique primaire
  • le critère de réussite qui renvoie à la satisfaction du désir de toute puissance
  • la gratification reçue des objets d'amour.


L'amour :


            L'amour passionnel se passe au niveau de l'imaginaire et vient comme annuler la dimension symbolique (p.224). Il y a une perturbation de la fonction de l'idéal du moi car l'amour ouvre la porte à la perfection.

Un amoureux passionnel serait donc fou du fait de la captation narcissique. L'idéal du moi vient se situer dans le monde des objets comme moi idéal.

 « C'est ça l'amour. C'est son propre moi qu'on aime dans l'amour, son propre moi réalisé au niveau imaginaire ». (p.225) L'être aimé est « l'image de notre désir ».


            Lacan s'interroge sur les liens entre l'amour pour l'être aimé et l'amour dans le transfert.


            Il introduit également l’amour du point de vue du registre symbolique, qui est différent de l’amour passionnel qui se situe du côté de l’imaginaire.


Idéal du moi et moi idéal :

            L'idéal du moi représente l'autre comme être parlant, l'autre comme ayant une relation symbolique avec le sujet. Cet autre est à la fois semblable et différent de la libido imaginaire. Les échanges symboliques donc la parole lient les êtres.


            L'idéal du moi serait du côté du symbolique et le moi idéal du côté de l'imaginaire ?



Ignorance et méconnaissance :


→ Ignorance : il n'y a pas d'ignorance s'il n'y a pas de vérité à atteindre. (p.261) Quand il y a au cours d'une psychanalyse une recherche de la vérité, par associations libres, il y a alors de fait constitution de l'ignorance. « C'est nous qui créons cette situation, et donc cette ignorance-là » p.261.


→ La méconnaissance n'est pas l'ignorance. Quand il y a méconnaissance, il y a forcément une connaissance cachée derrière. (Ex : un délirant qui méconnait la mort de l'un de ses proches. Il connait qu'il y a quelque chose qu'il veut méconnaitre.) Dans l'ignorance, on parle de vérité ; dans la méconnaissance, on parle de connaissance. La connaissance est une fonction du moi, de l’égo qui croit savoir. 
→ Dans le rêve, la connaissance du corps est accru. Il est mieux senti, mieux perçu et donc mieux connu par le sujet. En revanche, à l'état de veille, le corps du sujet est renvoyé au corps de l'autre ce qui provoque de l'ignorance sur son propre corps. L'égo a un pouvoir de méconnaissance. (p.243)



Surmoi :


            L'inconscient et le surmoi sont des scissions induites par le système symbolique.

Cette scission pour le surmoi se réalise dans ses rapports avec la loi. De plus le monde symbolique auquel il fait référence n'est pas limité au sujet car la langue est commune à une certaine communauté à laquelle appartient le sujet. (p.305)

            Le surmoi a un rapport avec la loi tout en méconnaissant cette loi qui est une loi insensée. (p.164)

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