LACAN, LES ÉCRITS TECHNIQUES DE FREUD
Édition : Points
|
Fairouz Nemraoui
Point sur la psychanalyse et
l'oeuvre de Freud :
La pensée
freudienne doit être remise en mouvement. Les travaux sont ouverts à la
révision, à des remises en question.
Lacan met
en avant l'importance que Freud accordait à son « auto-analyse » pour
pouvoir analyser les névrosés. "(...) on reconnaît ce fait que, dans
l'analyse il n'y pas seulement le patient. On est deux - et pas que deux".
P11
Le point
de visée de l'analyse serait la reconnaissance "Tu es ceci".
Il s'agit d'un idéal qui n'est jamais vraiment atteint. "L'idéal de
l'analyse n'est pas la maîtrise de soi complète, l'absence de passion"
p.12.
Les écrits
techniques (1904-1919) de Freud représenteraient une étape intermédiaire,
précédant l'élaboration de la théorie structurale (=théorie des instances ou
théorie métapsychologique). Leur groupement se constitue en ce sens. Croire que
l'unité proviendrait du fait que ces textes traitent de la technique serait une
erreur.
Lacan
souligne le manque de consensus entre les différentes pratiques
psychanalytiques sur ce qui est fait, ce qui est visé, ce qui est obtenu, et de
façon générale concernant ce dont il s'agit. Il parle d'une "confusion la
plus radicale" (p.22).
La force
de l'œuvre de Freud est de prendre le sujet dans sa singularité et de le
réintégrer dans son histoire. Lacan fait une précision sur le terme d'histoire,
et précise qu'il ne s'agit pas du passé en tant que tel, mais de
l'historisation du passé par le sujet du présent, dans la manière dont la
personne cherche à reconstruire son passé. La remémoration n'est donc pas le
point important, c'est la reconstruction qui compte (p.27).
P.28 " ce dont il s'agit, c'est moins de se
souvenir que de réécrire l'histoire".
Le moi et l'ego :
Concernant
le moi, Lacan explique que celui-ci se situe dans le sujet comme un symptôme.
(P.31) Il y a une ambiguïté dans la conception que se font les analystes de
l'égo en pensant que ce serait à quoi on aurait accès. Lacan le considère
plutôt comme un acte manqué, un "achoppement" (p. 31).
Lacan se
pose la question suivante : est-ce que la résistance continue à avoir son sens
en dehors de la psychanalyse? Chez Freud, et dès ses premières recherches, la
notion de résistance est rattachée à celle d'égo. L'égo aurait chez Freud un
rôle fonctionnel lié à des "nécessités techniques" (p.43).
De même,
le contre-transfert est le résultat de l'égo de l'analyste, ce qu'il
nomme "la somme des préjugés de l'analyste" (p.41). Pour autant, il
ne dit pas que l'analyste devrait ressentir aucun sentiment vis à vis de son
patient, comme un robot. Là n'est pas le question. C'est plutôt de savoir ce
que l'analyste en fait. Il doit ne pas y céder et "s'en servir
adéquatement dans sa technique" (p. 56)
Concernant
l'interprétation, Lacan prend des distances et met en avant le fait que
le sens ne doit pas être révélé au patient mais assumé par lui. C'est justement
parce que le sujet refuse ce sens que l'assumer lui permet d'avancer dans sa
cure. C'est notamment sur ce point précis que Lacan caractérise la psychanalyse
comme une technique qui "respecte la personne humaine" (p.52). Ce
point de vue vient aussi montrer qu'il est vain de vouloir forcer la résistance
du sujet à tout prix.
Il montre également que la clairvoyance chez le patient
suite à une interprétation du psychanalyste ne prouve en rien que cette
intervention du clinicien fût efficace d'un point de vue proprement
thérapeutique. L'interprétation reviendrait alors à un rapport d'égo à égo,
c'est-à-dire que l'on ne peut pas distinguer ce mécanisme de celui de
projection.
La résistance / Parole pleine et parole vide :
Lacan
définit alors la résistance comme "cette inflexion que prend le
discours à l'approche de ce noyau", entendu noyau pathogène. (P.62) C’est
à l’approche de sa vérité que nait la résistance chez le sujet. Chez Freud déjà
se dégage le fait que la résistance émane de ce qui est refoulé, de ce qui est
à révéler. C'est dans le mouvement par lequel le sujet s'avoue, lâche prise
qu'apparaît la résistance.
Selon
Lacan, c'est alors quand cette résistance devient trop forte que surgit le
transfert (p.69). Il ajoute quelques pages plus loin, ce qui vient soutenir
cette première proposition, "c'est dans la mesure où l'aveu de l'être
n'arrive pas à son terme que la parole se porte tout entière sur le versant où
elle s'accroche à l'autre" (p.80). Cela n'est pas étranger à l'essence de
la parole qui est une médiation avec l'autre, une façon de s'y accrocher et
d'être en lien avec l'autre.
Mais alors dans la cure, "si la parole fonctionne
(...) comme médiation, c'est de ne pas s'être accomplie comme révélation"
(p.81).
La parole
pleine est une parole qui fait acte en ce sens que le sujet est différent de ce
qu'il était auparavant.
C'est de
cette manière qu'il introduit l'opposition entre parole pleine et parole vide.
La parole pleine vient réaliser la vérité du sujet tandis que la parole vide
fait écho à la présence du psychanalyste où le sujet se perd alors dans
"le labyrinthe" de système culturel et dans les
"machinations" du système du langage (p.83).
Le
phénomène de transfert serait le fond du mouvement de la résistance. C'est par
cette conjonction que la parole deviendrait adressée au témoin qu'est le psychanalyste.
C'est alors au moment du silence du patient, quand il s'interrompt qu'il
approche le plus de la vérité. Selon Lacan, l'idée que l'analyste intervienne
en disant "ne pensez-vous pas à quelque chose qui me concerne moi
l'analyste ?" (P.88) n'est pas conseillée car cela vient cristalliser
d'autant plus la tendance du patient à venir adresser son discours au
clinicien.
Plus le
sujet s'affirme comme moi (du côté de la parole vide), plus il s'aliène.
"Quel est donc celui qui, au-delà du moi, cherche à se faire reconnaître?"
(P.85) L'égo serait donc une défense, un refus. Sa fonction fondamentale est la
méconnaissance, le "je ne sais pas".
Le moi
serait un "maître d'erreurs, le siège des illusions, le lieu d'une passion
qui lui est propre et va essentiellement à la méconnaissance" (p.104).
Il y
aurait un refoulement premier, primitif qui produirait une attraction pour tous
les refoulements ultérieurs, comme un centre d'attraction (p.73). Il serait
"le fond et le support" (p.74).
Le symbolique :
Lacan
distingue les différents niveaux du symbolique : symbolique en tant que tel, la
possibilité symbolique, l'ouverture de l'homme aux symboles, sa cristallisation
dans le discours en tant qu'il contient la contradiction.
Le réel serait ce qui échappe, ce qui résiste à la symbolisation.
Toute
l'expérience du bouquet dépend de la place de l'œil. Lacan définit alors l'œil
comme symbole du sujet. Autrement dit, le rapport au monde, à l'imaginaire, et
au réel dépend de la situation du sujet. Sachant que la situation du sujet dépend
de sa place dans le monde symbolique, donc dans le monde de la parole.
Il distingue trois registres dans le langage :
- L'énoncé : inclut la nature du sujet en fonction du style et de l'intonation.
- L'appel : il s'agit du ton qui va venir définir différentes valeurs de l'énoncé.
- La communication : prend en compte l'ensemble de la situation et ce dont il s'agit.
La liaison symbolique est que
socialement les êtres se définissent par l'intermédiaire de la loi. Par
l'échange des symboles, chacun se situe par rapport aux autres. Ce rapport
symbolique est complexe car différent selon les plans où les êtres se placent.
Le
symbole permet d'introduire un tiers qui est un élément de médiation entre les
êtres en présence (p.247).
Le stade du miroir :
Dans les
rapports aux objets existe un mode d'identification. L'anxiété en est le
signal. Lacan entend l’anxiété comme une "tentation, vertige, perte du
sujet" à un niveau primitif. (P.113).
Le stade
du miroir n'est pas simplement un stade du développement. Il a aussi une
fonction essentielle de relations du sujet à son image. Le caractère optique a
de ce fait toute son importance. Le fait même que l'enfant voit la forme totale
de son corps permet une anticipation de la maîtrise sur celui-ci. Cette
maîtrise imaginaire est prématurée par rapport à la maîtrise réelle du corps au
vu de l'âge de l'enfant. "Le sujet anticipe sur l'achèvement de la
maîtrise psychologique, et cette maîtrise donnera son style à tout exercice
ultérieur de la maîtrise motrice effective" (p.128)
Le stade
du miroir, en tant qu'instant où le sujet se voit, se réfléchit, va alors
déterminer de façon essentielle toute la vie fantasmatique du sujet. Au stade
du miroir, nous retrouvons le sujet d'avant la naissance du moi et le
surgissement de celui-ci.
Lacan reprend Hegel et notamment
l'idée que le désir de l'homme est le désir de l'autre. Le sujet repère son
corps grâce à sa propre image (cf stade du miroir) mais aussi par
l'intermédiaire du corps de l'autre. C'est là que s'ancre la conscience de soi.
Il reconnaît dans le corps de l'autre son propre désir. Le sujet se reconnaît
comme corps car il a assimilé le corps de l'autre.
L'autre
est captivant par le sujet du fait de son image unitaire, au même titre que
l'image qu'il perçoit dans le miroir. L'autre, au cours de la vie, se confondra
plus ou moins avec l'idéal du moi.
Un point essentiel du stade du miroir est son caractère
exaltant. Lacan précise que finalement, l'important n'est pas son apparition à
6 mois mais son déclin à 18 mois.
L'imaginaire :
L'imaginaire
chez le névrosé renvoie :
- aux identifications formatrices et les rapports que le sujet entretient avec celles-ci
- au rapport du sujet avec le réel dont la caractéristique est d'être illusoire. Le psychotique lui ne trouve pas de substitution imaginaire tout en perdant la réalisation du réel. (p 186)
La dimension imaginaire, illusoire
intervient de façon essentielle dans les comportements sexuels : leurs
déplacements, leur déclenchement. Lacan s'appuie sur des exemples tirés des
comportements animaux.
Avant le langage, le désir n'existe
que sur le plan de l'autre qui est aliénant. Il s'agit de la relation
imaginaire du stade spéculaire. La seule issue n'est alors que la destruction
de l'autre. C'est un désir de disparition de l'autre en tant qu'il supporte le
désir du sujet. Dans cette relation il y a concurrence, rivalité absolue. Il
s'agit de détruire celui qui est le siège de l'aliénation.
« Avant
que le désir n'apprenne à se reconnaître – disons maintenant le mot – par le
symbole, il n'est vu que dans l'autre ». (p.266).
L'ego ne se confond pas avec le
sujet. Le sujet est ce qui est en dehors de l'objet, du moi. (p.301).
Sentiment de soi :
Trois
racines du sentiment de soi sont isolées par Freud :
- la satisfaction narcissique primaire
- le critère de réussite qui renvoie à la satisfaction du désir de toute puissance
- la gratification reçue des objets d'amour.
L'amour :
L'amour passionnel se passe au
niveau de l'imaginaire et vient comme annuler la dimension symbolique (p.224).
Il y a une perturbation de la fonction de l'idéal du moi car l'amour ouvre la
porte à la perfection.
Un
amoureux passionnel serait donc fou du fait de la captation narcissique.
L'idéal du moi vient se situer dans le monde des objets comme moi idéal.
« C'est ça l'amour. C'est son propre moi qu'on aime dans l'amour, son propre moi réalisé au niveau imaginaire ». (p.225) L'être aimé est « l'image de notre désir ».
Lacan s'interroge sur les liens
entre l'amour pour l'être aimé et l'amour dans le transfert.
Il introduit également l’amour du
point de vue du registre symbolique, qui est différent de l’amour passionnel
qui se situe du côté de l’imaginaire.
Idéal du moi et moi idéal :
L'idéal du moi représente l'autre
comme être parlant, l'autre comme ayant une relation symbolique avec le sujet.
Cet autre est à la fois semblable et différent de la libido imaginaire. Les
échanges symboliques donc la parole lient les êtres.
L'idéal du moi serait du côté du
symbolique et le moi idéal du côté de l'imaginaire ?
Ignorance et méconnaissance :
→
Ignorance : il n'y a pas d'ignorance s'il n'y a pas de vérité à atteindre.
(p.261) Quand il y a au cours d'une psychanalyse une recherche de la vérité,
par associations libres, il y a alors de fait constitution de l'ignorance.
« C'est nous qui créons cette situation, et donc cette ignorance-là »
p.261.
→ La
méconnaissance n'est pas l'ignorance. Quand il y a méconnaissance, il y a
forcément une connaissance cachée derrière. (Ex : un délirant qui
méconnait la mort de l'un de ses proches. Il connait qu'il y a quelque chose
qu'il veut méconnaitre.) Dans l'ignorance, on parle de vérité ; dans la
méconnaissance, on parle de connaissance. La connaissance est une fonction du
moi, de l’égo qui croit savoir.
→
Dans le rêve, la connaissance du corps est accru. Il est mieux senti,
mieux perçu et donc mieux connu par le sujet. En revanche, à l'état de veille,
le corps du sujet est renvoyé au corps de l'autre ce qui provoque de
l'ignorance sur son propre corps. L'égo a un pouvoir de méconnaissance. (p.243)
Surmoi :
L'inconscient et le surmoi sont des
scissions induites par le système symbolique.
Cette
scission pour le surmoi se réalise dans ses rapports avec la loi. De plus le
monde symbolique auquel il fait référence n'est pas limité au sujet car la
langue est commune à une certaine communauté à laquelle appartient le sujet. (p.305)
Le surmoi a un rapport avec la loi
tout en méconnaissant cette loi qui est une loi insensée. (p.164)
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