1)L'expérience de satisfaction.
Le fonctionnement de l'appareil neuronique une fois décrit, Freud se préoccupe des quantités
endogènes accumulées qui mènent à un besoin de décharge. Un besoin interne prend naissance à l'intérieur du corps du fait de la nécessité de la vie (dans le cas de la faim, par exemple). Ainsi, les neurones nucléaires se trouvant dans le système ψ se remplissent de quantités. Alors, une poussée urgente est éveillée, qui pousse à l'éconduction se traduisant par la décharge par une voie motrice. Cris, expression des émotions s'en suivent : la voie menant à la modification interne est ainsi empruntée.
Cependant, et c'est là un point central, une éconduction de ce type ne provoque pas la satisfaction, le « délestage » selon le terme utilisé par Freud (2007, p.625). Ces écoulements réflexes sont insuffisants. Freud note donc d'emblée que si la première voie suivie est celle d'une modification interne (cris, innervations motrices), elle n'est d'aucun secours pour faire baisser la tension qui ne cesse de croître à l'intérieur du corps.
Ainsi, la tension interne persiste. La clé ouvrant la porte de l'abaissement de la tension n'est accessible que par une intervention se situant dans le monde extérieur. C'est ce que Freud (p.626) nomme l' « action spécifi
que », étant capable d'arrêter l'excitation endogène. Cette dernière n'est possible que par une « aide étrangère », celle-ci étant attentive aux besoins de l'enfant.
Le nourrisson est donc dans l'incapacité de satisfaire ses besoins tout seul. Par conséquent, il se trouve dans un état de dépendance à l'environnement du fait de sa pré-maturation. Le plaisir est donc fondamentalement lié à l'autre, à l'intervention d'un être proche.
Monique Schneider (Schneider, M. (2011). La détresse aux sources de l'éthique. Paris: Seuil. ; p.16) exprime en des termes éclairants l'importance de cet être proche, le Nebenmensch : « L'agencement théorique proposé par Freud, dans l'Esquisse1, s'organise essentiellement autour du centre de gravité que représente l'un des termes, le Nebenmensch, être proche, expression qui déploie d'emblée une structure spatiale bifocale, puisque l'être humain (Mensch) ne peut advenir comme humain que situé dans les parages d'un autre être humain placé « à côté » (Neben) ». Monique Schneider exprime ainsi le rôle déterminant de ce Nebenmensch à l'origine de processus fondateurs.
2)La « compréhension mutuelle ».
L'éconduction aura cependant d'autres fonctions, comme celle de se faire comprendre par cet
autre, cette aide étrangère. Cette fonction d'une extrême importance est nommée par Freud (p.626) « la compréhension mutuelle » : un nourrisson qui s'exprime et un adulte qui sait l'entendre et traduire ses cris ou ses pleurs. Monique Schneider (Schneider, M. (2011). La détresse aux sources de l'éthique. Paris: Seuil. ; p.108) souligne le « don de l'interprétation » du Nebenmensch, c'est-à-dire qu'il interprète l'agitation motrice, les cris de l'enfant comme porteur d'un message, par exemple « j'ai faim ».
3)L'importance de l'hallucination.
Que se passe-t-il après cette expérience de satisfaction qui semble si déterminante pour la suite ?
D'une part, l'intervention d'un autre permet l'abaissement de la tension et par la même l'arrêt du déplaisir. L'écoulement est ressenti comme plaisir. Cette aide amène une première expérience de satisfaction.
D'autre part, l'investissement d'un ou de plusieurs neurones du correspond à la perception de l'objet. Enfin, les neurones inscrivent également, et ce par un investissement, les informations relatives à l'éconduction du mouvement réflexe qui se rattache à l'action spécifique. Cela souligne le caractère éminemment fondamental de cette première expérience. Du fait de cette expérience de satisfaction, un frayage a donc lieu entre deux images mnésiques. Ainsi, lors d'un nouvel état de tension de ce type, l'investissement passe par ces deux souvenirs et les vivifie. Il y a inscription de l'objet par ce frayage associatif ce que Freud (p.627) nous explique par l'« association par simultanéité ».
Cette vivification a d'abord pour résultat une hallucination. En effet, lors d'une prochaine élévation de la quantité endogène dans le système ψ, les neurones emprunteront les voies frayées par la première expérience de satisfaction. Les neurones sont ainsi investis débouchant sur une hallucination avec une production de l'image de l'objet ayant apporté satisfaction. Si l'action réflexe est enclenchée qu'à partir de celle-ci, la déception aura lieu. L'hallucination ne permet pas un abaissement de la tension.
Mais celle-ci a d'autres fonctions, comme celle d'attendre évoquée précédemment. Il y a une illustration de cet état de tension dans l'Interprétation du rêve, avec les exemples du besoin d'uriner ou de la soif évoqués par Freud (p.271). Nous avons beau rêver que nous sommes en train d'uriner, rien n'y fait : il va bel et bien falloir se réveiller pour aller aux toilettes.
Ces différents exemples visent aussi à illustrer l'aspect déplaisant d'un tel état de tension. Il faut imaginer le nourrisson, envahi par un besoin interne si désagréable (comme la faim), et dépendant totalement d'un autre pour l'abaissement de cette tension. Le nourrisson est contraint d'en passer par l'autre pour échapper à une situation originaire de détresse. A nouveau, une intervention dans le monde extérieur s'avère donc incontournable. Ces hypothèses freudiennes permettent de postuler que le nourrisson hallucine l'objet de satisfaction du besoin en son absence, à condition qu'une expérience structurante et primordiale de satisfaction du besoin ait déjà eut lieue. L'idée centrale est que le développement de la pensée s'étayerait sur l'hallucination de l'objet absent, hallucination qui elle-même se base sur les traces mnésiques de l'expérience de satisfaction.
4)Barrières de contact.
Freud expose que le courant dirigé du dedans vers le dehors qu'est le principe d'inertie (évacuer complètement les quantités d'énergie que le système reçoit) doit être bloqué par une fonction secondaire permettant d'emmagasiner les quantités. Sans cela, nous nous viderions en permanence à l'extérieur. C'est d'une part cet emmagasinage, ce stockage et d'autre part l'évacuation, la décharge qui constituent le moi. La décharge est nécessaire car trop d'excitations ne seraient pas une situation vivable. Pareillement, se vider en permanence ne n'en constitue pas une.
Les processus secondaires réclament un emmagasinage de la quantité. Comment cela est-il rendu possible ? Il faudrait des forces résistantes qui s'opposent à l'éconduction de la quantité d'énergie. Selon Freud, ces résistances ont lieues dans les contacts entre les neurones. Il situe ainsi sa conception centrale des barrières de contact. Les barrières de contact sont donc au service des processus secondaires et de l'emmagasinage. Peut- on postuler que sans l'existence de la fonctionnalité de ces barrières de contact, la constitution du moi est mise à mal ?
Les barrières de contact permettent le distinguo entre les deux systèmes fondamentaux qu'introduit Freud dans Le projet d'une psychologie scientifique : le système φ et le système ψ. Leur naissance dans la théorisation freudienne vient du fait que l'auteur prend conscience que les neurones doivent aussi bien être influencés et ainsi modifiés de façon permanente que non modifiés.
Le système φ représenterait donc les cellules perceptives, c'est-à-dire celles qui restent non modifiées. Ainsi, après chaque cours d'excitation, elles reviennent dans le même état que celui dans lequel elles se trouvaient auparavant. Elles sont donc toujours disponibles pour de nouvelles excitations. Ces neurones ne retiennent pas, n'inscrivent rien en leur sein. C'est pour cette raison que Freud met en avant leur caractère perméable aux quantités d'énergie c'est-à-dire qu'ils laissent passer la quantité. Les neurones perméables seraient donc au service de la perception. Freud postule également que le système φ, contenant ces neurones perméables n'exercent aucune résistance à la quantité. Ce fait est d'emblée assez étonnant mais sera éclairé par la suite de l'écrit à travers la notion d'écran-Q.
A contrario, le système ψ se définit par l'imperméabilité de ces neurones, ceux-ci pouvant supporter, emmagasiner des quantités d'énergie. Ceux-ci sont influencés et modifiés de manière permanente par les cours d'excitations et peuvent ainsi voir leur état modifié. Il s'agit des cellules mnésiques détentrices de la fonction fondamentale qu'est la mémoire. Dans ce système, les barrières de contact sont particulièrement opérantes car celles-ci ne laissent que difficilement ou partiellement passer les quantités d'énergie.
Par conséquent, la distinction entre les deux systèmes repose sur la résistance dans les barrières de contact, « résistance qui différencie φ et ψ » selon Freud (p.610).
Freud postule donc que ces neurones imperméables sont les supports de la mémoire, et par la même, des processus psychiques en général. Il s'agit d'un constat crucial. Par déduction, cela signifierait que les processus psychiques supposent de pouvoir retenir, supporter les quantités d'énergie. Ainsi, l'emmagasinage de la quantité est bel est bien fondamental pour l'appareil psychique. Par la même, cela met en avant la nécessité de pouvoir se détourner en partie des processus primaires, en favorisant ainsi la fonction secondaire.
L'importance des barrières de contact est également illustrée par leur rôle de liaison. C'est elles qui mettent en contact les neurones, autrement dit les représentations. Les représentations sont en
contact, se lient les unes aux autres grâce aux barrières de contact, ce qui souligne une nouvelle fois le fait que ces barrières favorisent la retenue de la quantité et ainsi les processus secondaires. Freud (p.614) le précise : « on peut attribuer en général à chaque neurone ψ plusieurs voies de liaison avec d'autres neurones, donc plusieurs barrières de contact ». Les barrières de contact semblent donc être le postulat fondamental nous amenant à la notion de liaison psychique.
Par la contrainte de la nécessité de la vie, le système se doit de retenir de la quantité. Pour cela, une multiplication de neurones imperméables est nécessaire. Autrement dit, le système, du fait de la nécessité de la vie, a besoin d'une provision d'affect et de représentations (neurones imperméables) (cf Jean Laplanche). Représentations et affects constituent la pierre angulaire du système psychique.
Cette citation de Freud était également intéressante : (p.613) : « (...) si l'on s'est fait une idée exacte de la grandeur des Q dans le monde extérieur, on se demandera si la tendance originelle du système nerveux qui est de maintenir la Qn à 0 trouve son compte dans l'éconduction rapide, si cette tendance n'est pas déjà à l'œuvre lors de la réception du stimulus ».
Cette phrase est de la plus haute importance car Freud introduit un autre élément qui agirait dés la réception du stimulus : l'écran-Q. Il s'agit d'un écran contre la quantité. Freud ajoute un nouveau système de filtrage. L'écran-Q contient des formations cellulaires qui reçoivent directement le stimulus exogène. Ainsi, ces cellules ne laisseraient pas passer les quantités exogènes agir sur le système φ sans les atténuer au préalable. L'écran-Q ne laisse passer que des fractions de la quantité qui proviennent du monde extérieur. Cela permettrait de rabaisser les quantités au niveau intercellulaire, ce qui explique l'absence d'écrans-Q à l'intérieur du corps, car le niveau intercellulaire y est déjà présent.
L'idée de cette existence d'appareils protecteurs ne quittera pas le père de la psychanalyse. Cela me fait en effet penser à la notion de pare-excitation. Ce dernier vise à protéger le psychisme d'un excès d'excitation qui pourrait le détruire et qui serait en provenance de l'extérieur. Le monde extérieur est empli d'énergies plus fortes les unes que les autres. Si l'organisme y est directement confronté, le risque serait l'effraction traumatique perturbant ainsi l'intégralité du fonctionnement. C'est ici qu'intervient le pare-excitations qui représente une enveloppe protectrice, une membrane qui filtre l'excitation. La réception ne concernera alors que les sommes d'excitations que le pare-excitations aura laissé passer. En effet, le pare-excitations transmet les excitations aux récepteurs sensoriels après les avoir atténuées. Il permet donc de réguler les contacts et d'isoler l'organisme de l'extérieur.
Freud précise aussi que les excitations externes traumatiques sont celles qui sont si fortes qu'elles peuvent faire effraction dans le pare-excitations. Le pare-excitations est débordé, fracassé brutalement par une quantité d'excitations qu'il n'arrive pas à lier. La situation traumatique a pour caractéristique sa soudaineté effractive. Aucune anticipation n'est possible : la psyché n'a pas pu s'y préparer.
F. Nemraoui
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